Raid sur Tunis en pneu

Un beau défi relevé et gagné par le Belgian PneumatiClub pour ses 25 ans

Raid : Longue épreuve destinée à montrer l'endurance des hommes qui l'accomplissent et du matériel que ceux-ci utilisent. (Petit Larousse illustré)

Cette définition repiquée dans un dictionnaire peut s'appliquer à la lettre au périple en Méditerranée qu'ont effectué trois semi-rigides durant le mois de juillet dernier.

"The team" (de gauche à droite) : Jacqueline, Eric, Agnès, Jacques, Annie et Jean-Pol , l'équipe au complet à Sidi-Bou !

Si le BPC, notre club de pneumatiques national, peut s'enorgueillir d'un tableau impressionnant de sorties tant en mer qu'en rivières, il ne peut s'empêcher, de temps en temps, d'enclencher la vitesse supérieure pour s'offrir des frissons d'une autre dimension. Il y a peu, il dévalait allègrement le Rhin en se faufilant entre les pousseurs et les cargos rhénans (rappelez-vous Nautica nr 22); pour marquer ses 25 années d'existence, il fallait trouver un "truc" à la hauteur, en forme de clin d’œil aux membres fondateurs.

Le "Joufflu", jamais en panne d'imagination, s'est souvenu que, en 1989 lors de son premier tour de Corse pour lequel il était parti de Piombino en Italie, certains pneusards du club avaient déjà fait la traversée Côte d'Azur-Corse, c'est-à-dire 200 kilomètres.

Cinq à six tours de Corse et de nombreux milles plus loin, après avoir calculé et constaté que la distance séparant le Sud Sardaigne de la Tunisie était équivalente, l'idée d'un grand raid s'imposait de plus en plus dans son esprit: St-Tropez - Tunis - St-Tropez.

Le projet est soumis aux membres susceptibles d'être intéressés par l'aventure. Une "sélection naturelle" s'opère selon la taille des bateaux, la motorisation ou encore la motivation des équipages et leur budget disponible pour une telle opération. Le but n'étant pas de dérouler un ruban de pneus entre la Côte d'Azur et la Tunisie, l'idéal pour ce type d'expédition était de former un groupe solidaire composé de minimum trois bateaux et de six au maximum.

De la théorie…

Joufflu, Moriko et Ric seront du voyage, embarquant chacun son skipper et son équipière.

Commence alors un travail de préparation minutieuse.

Différentes possibilités de routes s'offraient à eux. Partant de St-Tropez, il n'y avait d'autre alternative que de toucher la Corse par l'ouest; par contre, ils pouvaient descendre la Sardaigne par l'est comme par l'ouest, en envisageant même d'en faire carrément le tour en choisissant une côte pour la descente et l'autre pour la remontée. C'est le temps dévolu au voyage qui a tranché: avec trois semaines, on oublie un tour de Sardaigne en plus du reste…

Un roadbook est alors soigneusement tracé avec l'aide de cartes diverses et autres Mac Millan et Bloc Marine. Les caps et waypoints (St-Tropez - Porto - Sud Sardaigne et Bizerte) sont introduits dans les GPS pour les traversées. Le Moriko avait, par prudence, ajouté des waypoints pour les îles Lavezzi et Maddalena qui représentent un zig-zag aussi permanent que désorientant.

Les trois pilotes sont d'ailleurs unanimes pour souligner l'importance de la fiabilité des instruments de navigation et de la présence à bord de GPS qui annule tout risque de dérives occasionnées par les vents et courants changeants, dérives qui sont inévitables et peuvent être importantes.

En ce qui concerne les instruments de bord, les participants au raid décernent un "pneu d'or" notamment au GPS à cartes Geonav embarqué sur le Joufflu et au compas Offshore 135 Plastimo installé sur le Moriko et qui ne lui a jamais fait "faux bond" durant ces trois semaines musclées.

Le BPC ayant toujours comme habitude de jouer la carte de la sécurité maximale, il était évident que les moteurs et les bateaux se devaient d'être au top de leur forme. Les équipages aussi, d'ailleurs!

Dans cet esprit, tout ce petit monde est d'accord pour affirmer que la qualité du couchage est primordiale dans ce type d'expédition. Si le kit camping est superflu sous ces latitudes, par contre un lit impeccable permettra une bonne récupération des efforts fournis en navigation. Donc amateurisme et économie de bouts de chandelles sont à proscrire sur ce chapitre.

Le Moriko, quant à lui, avait poussé le confort à bord au maximum grâce au soutien terriblement efficace d'un frigo à compresseur Coolman (nouvelle génération) particulièrement silencieux et d'un capteur solaire. Le panneau solaire Webasto de 70/70cm, entièrement plastifié mais souple installé sur la cabine est absolument étanche. Ce panneau délivre 4,5A; placé en deux minutes, retiré en quinze secondes, il alimente une batterie de 65A réservée au frigo d'une contenance de vingt litres dont la consommation est de 50W. A 20° C il ne fonctionne qu'à 20% de l'heure et à 30°C, sa durée est de 30% ce qui lui donne une consommation effective de 1A à 2A/heure. Une installation pas vraiment accessible à toutes les bourses mais qui s'est révélée étonnamment performante.

… à la pratique

Après avoir lu et relu leur copie, peaufiné leur trajet, envisagé tous les cas de figures, estimé leur planning en toute humilité car on sait bien que c'est la mer qui tient toujours la barre, le moment tant attendu arrive et le port de Cogolin, non loin de Port Grimaud, assiste à la mise à l'eau des trois pneus, en plein orage comme seul le mois de juin peut en servir là-bas. Le plan incliné du port n'est pas idéal mais la Nissan Patrol s'est acquitté honorablement de l'opération sans avoir dû faire appel au clarck ou au grutage.

Laurent Marine avait en outre gentiment accepté d'héberger gratuitement sur son site gardé et fermé voitures et remorques, geste hautement apprécié par le petit groupe qui pouvait ainsi partir l'esprit tranquille lorsque l'on connaît l'affluence dans les ports du sud de la France en pleine période estivale.

Pour leur première journée, nos amis quittent Cogolin à 6h du matin pour rallier la Corse vers 13h, soit une navigation de 220 kilomètres dans une mer agitée animée par un vent de face de force 5 sur les 30 derniers kilomètres. Ils choisissent de s'arrêter à Cargalo, à la pointe extrême ouest de la Corse à une vingtaine de kilomètres au nord de Porto.

L'endroit n'est pas répertorié comme port officiel de Corse mais est un abri bien agréable pour des petites unités malgré le fait que son accès puisse être dangereux par mauvais temps et surtout par vent d'ouest.

Nous sommes ici dans une région d'une beauté saisissante, considérée par bien des navigateurs comme le plus beau coin de Méditerranée. L'Unesco semble partager cet avis puisqu'il a classé la zone s'étendant du sud de Calvi jusque Porto comme patrimoine mondial. Failles, anses, criques et grottes se succèdent plus fascinantes les unes que les autres et souvent accessibles seulement en pneumatiques ou avec des petits bateaux. Les pêcheurs invétérés ne doivent jamais oublier que cette réserve naturelle est placée sous très haute et efficace surveillance…

Le lendemain sera consacré au farniente dans une crique près de Porto.

Au troisième jour, les équipages doivent revoir leurs prétentions. L'idée de rallier Bonifacio depuis Porto est gommée par une météo mauvaise et une méchante mer. Ils rejoignent Cargèse où ils attendent que les choses se calment avant de jeter l'ancre à Figari dans une superbe anse au nord de Bonifacio. L'endroit est magnifique, seul l'aéroport tout proche trouble quelque peu sa tranquillité.

Ils quittent Figari pour faire un plein à Bonifacio. Le port de Bonifacio est loin de faire l'unanimité. L'accueil n'y est pas sympathique; ici on sent bien que seules les grosses unités ont droit aux égards… alors des pneus, vous imaginez!

Ils vont s'installer dans le canyon avant de traverser les Bouches de Bonifacio, opération toujours jugée délicate.

Après avoir contourné les superbes Lavezzi, cap est mis sur l'archipel della Maddalena en Sardaigne, regroupant sept îles dont celle de Caprera où vécut et où repose Giuseppe Garibaldi. Nos amis s'arrêtent pour la nuit à Olbia dans une crique sur la Côte Smeralda.

L'étape suivante les fait débarquer à Arbatax que nos bouillants navigateurs doublés de solides épicuriens ont qualifié d'étape intéressante à tous points de vue, surtout gastronomique avons-nous compris…

Villasimius, sur la côte est, est une halte obligée car synonyme de passage à la pompe. Malheureusement, cela tourne au vinaigre lorsque le pompiste déverse par erreur 700 litres (dans les trois bateaux) de diesel à la place d'essence… En plus de ce désagrément, l'endroit ne présente aucun intérêt.

Une semaine après leur départ de Cogolin, les bateaux s'élancent vers Bizerte en Tunisie qu'ils rallieront après être arrivé à la conclusion qu'il ne serait pas bon d'avoir le moindre problème durant la traversée vu le peu de bateaux rencontrés en cours de route.

A Bizerte, l'accueil que leur réserve un membre tunisien du BPC est si chaleureux que la fatigue s'envole très vite pour faire jaillir une évidence: ils avaient atteint leur but et rempli leur mission… à moitié et sans casse!

Les deux journées suivantes se passent sous le signe de la détente et du tourisme. Après avoir visité la Medina de Bizerte, nos amis partent sur Sidi-bou-Saïd où ils retrouvent un catamaran battant pavillon français déjà rencontré en Sardaigne, emmenant à son bord deux couples en voyage autour de la Méditerranée.

Les ruines de Carthage et les extraordinaires ports puniques tout proches sont autant de visites incontournables pour nos amis. Le Café des Nattes, poétiquement rebaptisé Café des Délices par Patrick Bruel et l'ancienne cathédrale St-Louis permettent de souffler un peu.

Le mercredi, à la fine pointe de l'aube, les bateaux quittent Sidi-Bou-Saïd pour entamer leur périple de retour non sans s'être faits détrousser par des policiers tunisiens peu scrupuleux qui les dépouillent de leurs derniers dinars.

Les conditions sont tellement mauvaises dans le golfe de Tunis qu'ils rebroussent chemin et trouvent refuge dans le port de pêche de Ghar el Mel où un poste de douane les accueille. S'en suit un imbroglio rocambolesque concernant les passeports. En effet, ceux-ci étaient munis du cachet d'entrée en Tunisie mais aussi, depuis le matin même, de celui de sortie. Alors que faisaient encore ces personnes sur un territoire qu'ils avaient officiellement quitté? Le suspens a duré plusieurs heures durant lesquelles les équipages étaient bloqués sur leurs embarcations, par une chaleur étouffante. Une fois libérés, ils rejoignent Bizerte en fin d'après-midi avec un vent de force 6 en plein nez et une houle courte et hachée qui secoue méchamment les bateaux. Une fois à Bizerte, il reste à attendre une météo plus clémente pour reprendre la mer.

Le vendredi, ils peuvent enfin quitter Bizerte à 5h du matin et mettre le cap sur Villasimius qu'ils atteignent vers midi après une navigation rendue difficile par des vents violents de nord-ouest.

Pour éviter ces mauvaises conditions, les habitués des eaux sardes et tunisiennes sont tous d'avis qu'ils faut partir très tôt de Tunisie et même envisager un départ vers 22 heures et naviguer de nuit. La canal de Sardaigne qui sépare la Méditerranée ouest et est n'est large que de 200 kilomètres. Les vents venant des terres et de la mer s'engouffrent dans ce couloir en soufflant dans tous les sens et sont pratiquement imprévisibles.

Arrivés à Villasimius, les équipages constatent que les conditions semblent se ranger de leur côté et qu'il serait prudent de profiter de ce moment de grâce accordée par les dieux de la mer et des vents et de trouver un réconfort bien mérité à Arbatax qui les réconciliera, une fois de plus, avec ces vacances plutôt "speedées".

Leur remontée vers la Corse les ramène aux îles della Maddalena, méconnaissables depuis leur passage dix jours auparavant. Durant les 1600 kilomètres qu'ils avaient avalés depuis le début du raid, ils n'avaient rencontré que très peu de bateaux. Tout à coup, ici, en cette mi-juillet, ils se croient en pleine rue Neuve en période de soldes! Des unités de toutes tailles et plutôt des XL que des S sillonnent la mer à fond les manettes au mépris de tous les dangers. De l'inconscience à l'état pur… Le port de Palau d'où on les éjecte faute de places, est tellement bourré que les pneus ne savent pas comment faire demi-tour! Et dire que cette région est un vrai bonheur… hors-saison.

Faisant alors halte à Santa Teresa Galura, dernier port à l'ouest des Maddalena, ils apprennent par des amis séjournant en Corse que des vents de sud force 8 sont annoncés dans les Bouches de Bonifacio pour les heures qui suivent. En interrogeant le ciel du regard, les signes de danger semblent bien réels. Il fallait partir immédiatement pour anticiper le grain qui se préparait. Cap est mis sur Ajaccio, atteint après trois heures de navigation. Profitant de la très bonne qualité de la mer à ce moment-là, les six compères décident de ne pas s'y attarder et de faire encore les 70 kilomètres qui les séparaient de Porto.

A peine arrivés aux Sanguinaires, la mer se voile de brume et une fois dépassé le Capo Rosso, un vent ouest les pousse violemment dans le dos et la navigation s'effectue alors dans un clapot énorme. Les bateaux étaient tout juste amarrés à Porto qu'un orage terrible éclate. La nuit passée à bord faute d'avoir pu dénicher des chambres libres dans un hôtel a été assez humide et secouée.

Le lendemain, l'hôtel tant espéré est trouvé, au grand bonheur de ces dames!

 

Deux journées relax à Porto ne seront pas de trop car nos courageux marins n'étaient pas encore arrivés au bout de leurs peines…

En effet, nos amis sont attablés à Porto pour l'apéro de midi, lorsqu'un coup de téléphone passé à Cogolin leur apprend qu'il faut quitter la Corse à toute vitesse car un coup de vent de cinq jours est imminent! Sauve qui peut! Les verres sont vidés d'un trait, les chambres se libèrent en un clin d'oeil, le petit Dominique est appelé de toute urgence pour un plein de carburant et la côte corse s'éloigne à toute allure… du moins celle accordée par la mer! Partis de Porto à 14.30 h, les trois RIB's atteindront Cogolin à 21.30 h après une traversée homérique qui a même failli se terminer en feu d'artifice avec un incendie déclaré à bord d'un bateau.

L'épopée tunisienne est maintenant derrière eux. Les trois équipages partagent le même avis: ils sont heureux et fiers d'avoir réussi ce challenge mais pour le prochain raid, ce sera Wépion - Waulsort !

Texte: F. Cus

Après ces 2.180 kilomètres parcourus en Méditerranée, la parole est à eux…

Moriko :

Tornado 7.5 m Mot. Mercury Optimax 200 CV

Consommation huile: 23 litres

Consommation essence: 1486 A juste titre, il se dit très fier de cet exploit collectif car il souligne qu'il s'agissait d'un réel défi pour chaque participant et que la solidarité a joué son rôle à fond; l'entente absolue régnant entre tous durant tout le voyage. Le raid a été dur mais il se félicite de n'avoir jamais enchaîné plusieurs longues distances à la suite. Il adresse un grand coup de chapeau à ces dames qui récoltent les louanges unanimes de leurs skippers de maris.

Ric:

Tornado 7m Mot. Yamaha 115 CV

Consommation huile: 35 litres

Consommation essence: 1700 litres

Il insiste sur l'importance de la sécurité en navigation: rester groupés au maximum, ne jamais s'éloigner des autres de plus d'un kilomètre car il vaut mieux rester à vue. Il fait remarquer qu'il est aussi judicieux d'introduire les mêmes waypoints sur tous les GPS, cela peut éviter des surprises, pas toujours à l'arrivée sur le point mais en cours de route.

Joufflu :

Tornado 5.50 m Mot. Johnson Ficht 150 cv

Consommation huile: 15 litres

Consommation essence: 1377 litres

C'était son idée à lui et elle était bonne!

Une autre initiative, moins réussie celle-là, est d'avoir relié le frigo à la batterie via l'allume-cigares sans fusible… Moralité de l'histoire: remplacez vite tout allume-cigares sur votre bateau par des fiches adaptées, cela vous évitera de vous faire remorquer sur trois kilomètres pour une fin de raid peu glorieuse…

… et à elles

Peu de femmes, il faut bien l'avouer, accepteraient d'entamer un tel voyage car il faut être dotée d'un caractère bien trempé pour supporter la cadence imposée par un raid. Les attractions foraines les plus sensationnelles ne remuent les amateurs que quelques minutes. Ici, le rodéo a duré trois semaines…

La participation des équipières est capitale dès la préparation du voyage. Elles préparent les sacs en prévoyant les vêtements adéquats et en nombre suffisant. Une fois à bord, elles sont le plus souvent préposées à la cuisine et tentent d'avoir toujours un stock de nourriture pour trois à quatre jours. L'intendance du bord leur incombe également à des degrés divers suivant le caractère de ces messieurs qui se comportent de façon identique sur le bateau et à la maison, c'est elles qui l'affirment. Le rangement des bagages sur le pneu, par exemple, est assez révélateur et est souvent à l'origine de ce que l'on pourrait appeler la "guerre des sacs". Le premier est si maniaque qu'il s'occupe de tout ne laissant à madame que le souci de ses sacs personnels, le deuxième gère tout également mais suivant ses priorités à lui et le résultat n'est pas souvent en harmonie avec les souhaits de madame, le troisième, quant à lui, ne gère rien du tout mais remue tout en laissant le bateau dans un joyeux désordre…

En ce qui concerne les traversées, les équipières nous ont confié avoir subi plus que les pilotes. L'état de la mer a rendu très souvent la navigation inconfortable; recevant des tonnes d'eau en pleine figure, elles n'avaient d'autre alternative que de s'accrocher. N'ayant rien à gérer à bord durant la navigation, leur stress et leur vision du voyage étaient différents par rapport à leurs compagnons qui eux avaient de quoi s'occuper!

Mais que ces messieurs se rassurent, elles ne céderaient leur place à personne d'autre tout en espérant que leurs prochaines vacances seront un rien plus "soft"…

Cet article est reproduit avec l’aimable autorisation, de la revue NAUTICA

http://www.nautica-magazine.be/

nautica@skynet.be

Itinéraire

 

FIN

Un grand merci au Belgian Pneumaticlub et à la revue NAUTICA pour ce superbe reportage.